FRArt Breath Sounds

1. Breath Sounds : entretien

  • type: Interview
  • ref: DOC.2021.221
  • Creation date: 5 Novembre 2018
  • duration: 0:00:00
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Breath Sounds est un projet expérimental visant à concevoir un poumon numérique.
Babak Afrassiabi et Nasrin Tabatabai envisagent la création d’une installation
qui développe en temps réel le processus de distribution de la fumée d’opium et l’intensification de son dépôt dans les poumons, jusqu’à la déformation graduelle des voies respiratoires et finalement les bruits de respiration anormaux qui en émanent.
Revêtant une dimension scientifique complexe, ce projet a été développé avec l’aide de plusieurs scientifiques. Les caractéristiques de la fumée d’opium ont été étudiées dans un laboratoire de l’université de Groningen (Pays-Bas) ; la simulation de l’expansion de la fumée d’opium dans les poumons et les bruits de respiration en résultant a fait l’objet d’expériences à l’université de Southampton (Royaume-Uni) ; la dernière étape portant sur le matériel informatique qui permet de connecter et d’opérer simultanément les différents modèles de simulation est en développement à l’université d’Anvers. Le projet mobilise ainsi plusieurs domaines d’expertise technique comme l’ingénierie acoustique biomédicale ou encore la pathologie numérique, une technologie médicale qui fait appel à l’ingénierie des données, les algorithmes, l’apprentissage automatique et l’informatique biomédicale pour produire des diagnostics et des prédictions. L’un des usages de la pathologie numérique consiste à simuler
avec précision l’état du patient afin d’en prédire le développement.
Mais la recherche des deux artistes s’arcboute aussi sur une réflexion historique concernant la relation des organes humains à la technologie et à l’économie. Substance à l’origine destinée à être mangée, l’opium a connu au XIXe siècle une mutation dans son mode de consommation, passant de l’ingestion à l’inhalation. Cette transformation a non seulement facilité la marchandisation de l’opium, mais aussi l’assimilation capitaliste de l’organe respiratoire. Ce processus d’appropriation marchande des organes humains, dont les développements se font de plus en plus visibles dans l’économie cybernétique du XXIe siècle, est au coeur du travail d’Afrassiabi et Tabatabai. Ils entendent, à travers leur recherche, « proposer un modèle de négociation (sinon de résistance) » à ce phénomène.

L’entretien qui suit a été réalisé à Bruxelles le 5 novembre 2018.

Babak Afrassiabi & Nasrin Tabatabai

(A/R) Quelles sont les origines du projet ?
(N.T.) L’idée de travailler sur l’opium est née il y a un an ou deux, quand nous avons commencé à créer des archives basées sur des textes de fiction iraniens allant du début du XXe siècle jusqu’à nos jours (Inhale, 2016). Les archives consistent en plus de vingt-cinq descriptions extraites de ces fictions, dans lesquelles sont dépeints des moments où l’opium est fumé par divers personnages. Dans la mesure où les archives couvrent quasiment
un siècle de littérature, chaque description reflète aussi de façon implicite un moment différent dans l’histoire sociale et littéraire de l’Iran. Ce qui nous intéressait, c’est la manière dont
l’opium, en tant que substance, condense cette histoire. Nous étions aussi intéressés par la relation que l’opium entretient au commerce et au capitalisme. Avant l’expansion du commerce, l’opium était principalement mangé. Le fait de fumer l’opium ne s’est propagé au cours du XIXe siècle que grâce aux marchands, ce qui a accru la dépendance à l’opium dans la région, et particulièrement en Chine. En réalité, le fait de fumer n’a pas seulement facilité la marchandisation de l’opium mais, plus important, il a intégré le poumon en tant qu’organe humain dans le réseau commercial.

(A/R) Inhale a-t-il été conçu spécialement pour la Biennale de Taïpei de 2016, étant donné la relation historique de la région avec le commerce de l’opium et les Guerres de l’Opium ?
(B.A.) Inhale a été présenté pour la première fois à la Biennale de Taïpei, et bien sûr c’était excitant de la montrer dans ce contexte, mais l’oeuvre en elle-même ne faisait pas directement référence à l’histoire de l’opium dans la région. Évidemment, les gens qui l’ont vue à Taïpei ont fait l’association, et nous avons eu des échanges intéressants, en particulier avec la personne qui a traduit les textes en chinois. Les pays qui ont fait l’expérience directe du commerce de l’opium et qui ont été (certains le sont encore) intégrés géographiquement à sa production et son commerce ont une relation à cette substance différente de celle de l’Europe. Ici, l’opium a été en grande partie considéré comme une substance exotique. Les réflexions artistiques sur l’opium des XIXe et début du XXe siècle étaient le fruit d’expériences
plus individualistes. Notamment du fait de l’influence d’une approche orientaliste, l’opium était à l’époque supposé déclencher une sorte d’expérience « primordiale » ou offrir un accès à l’« inconscient ». Dans la plupart des pays qui partagent une histoire avec son commerce, comme en Chine, l’opium est directement associé au colonialisme et à l’impérialisme. Dans
la littérature perse, plutôt que de refléter le témoignage individuel de l’auteur ou des personnages, le fait de fumer s’inscrit dans des conditions sociales et économiques, comme si la fumée d’opium était un témoin silencieux.

(A/R) Ainsi, le projet Breath Sounds constitue un développement direct de Inhale.
(N.T.) Dans Inhale, les archives des fictions de l’opium étaient accompagnées d’une série d’animations qui étaient en partie développées grâce à la technologie numérique de dynamique des fluides. Cette technique, adoptée aujourd’hui en médecine, utilise des algorithmes pour concevoir une représentation prédictive des états pathologiques dans les organes humains. Les animations produisent les mouvements et sédimentations des aérosols de la fumée d’opium à l’intérieur d’une paire de poumons.
Breath Sounds approfondit ce traçage de la fumée d’opium dans un poumon en adoptant la technologie de prédiction algorithmique. Ici, la fumée en elle-même est devenue une sorte de soustexte pour le projet, créant des bruits de respiration pathologiques.
Les algorithmes conçus pour le projet simulent le processus et les effets de la fumée d’opium sur le poumon, et génèrent les bruits de respiration tandis que ces effets augmentent.

 (A/R) Concrètement, comment votre recherche a-t-elle commencé ?
(B.A.) Ce que nous avons cherché au début du projet, c’était d’éventuelles recherches scientifiques existantes au sujet des effets de l’opium sur le poumon. Nous nous sommes rendu compte que très rares étaient les scientifiques à avoir travaillé sur le sujet, et quasiment aucun d’une université européenne.
Nous avons trouvé un article qui nous a été assez utile, à propos d’une étude faite dans les années 1970 à Singapour 1.
Pour le reste, nous avons dû produire les informations de base dont nous avions besoin pour développer le projet. Nous avons réuni certaines informations sur le terrain, par exemple en interrogeant des toxicomanes sur leur consommation moyenne d’opium et le nombre d’inhalations par jour. Ensuite, nous avons commencé à récolter des données plus détaillées en approchant une université du nord des Pays-Bas, puis en apportant une pipe et de l’opium dans leur laboratoire pour calculer les caractéristiques des aérosols de fumée. La pipe était connectée à un inhalateur, une machine pourvue d’un appareil photo à laser qui photographie les aérosols passant devant la lentille.

(A/R) Ensuite, qu’avez-vous fait avec ces données ?
(B.A.) Nous avons commencé à collaborer avec la professeure Anna Barney, qui est une spécialiste en ingénierie acoustique biométrique. Les données que nous avions produites au
sujet de l’opium ont constitué une base pour développer les codes qui simulent l’inhalation de fumée d’opium et ses effets dans les poumons, processus qui commence par l’expansion de
la fumée jusqu’au dépôt de poussière de carbone dans les voies respiratoires. À partir de là, la simulation, qui forme une sorte de poumon numérique « vivant », utilise un principe de probabilités pour calculer l’effet de la fumée d’opium sur les bruits de respiration et génère ensuite les bruits de craquements et de sifflements qui augmentent en même temps que la fumée d’opium. C’est un poumon automatisé qui effectue ce processus en temps réel. Tant qu’il continue de fumer de l’opium, le dépôt de poussière de carbone augmente, et il en résulte l’obstruction des voies respiratoires et la déformation des bruits de respiration
comme symptôme.
Dans une perspective médicale, un symptôme est souvent considéré exclusivement comme un point de départ, un signe qui mène à l’identification d’une maladie. Dans notre cas, ce processus est inversé. L’algorithme crée le symptôme comme point d’arrivée. En ce sens, les bruits de respiration sont dépourvus de toute valeur interprétative (ou diagnostique, dans ce cas). Ils sont irréductibles à toute intégration ou appropriation analytique. Comme pour Inhale, ce qui nous intéressait, c’est de retracer les manifestations matérielles de la fumée d’opium comme entité autonome. Pour revenir à ce que disait Nasrin sur la relation entretenue par la fumée d’opium avec le capitalisme et le colonialisme, l’intégration du poumon drogué au réseau commercial capitaliste du XIXe siècle n’est pas sans lien avec la manière dont opère aujourd’hui le capitalisme numérique en s’appropriant et en organisant nos corps. Avec Breath Sounds, nous aimons penser les bruits de respiration par l’opium comme ce qui va au-delà du mécanisme de cette appropriation.

(A/R) Avant vos recherches sur l’opium, vous avez réalisé un projet sur le pétrole (Seep, 2012). Pourriez-vous nous en parler ? Et quelles associations voyez-vous entre ces deux substances ?
(N.T.) Seep est une installation constituée de vidéos, objets, impressions et travaux textuels. Elle réunit deux archives du XXe siècle liées à l’expérience de la modernité en Iran. L’une fait partie des archives de British Petroleum qui documentent

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