FRArt Breath SoundsIntroduction

  • type: Article
  • ref: DOC.2021.90

Depuis le commerce maritime avec les colonies du XIXe siècle jusqu’aux économies cybernétiques du XXIe siècle, l’organe humain est resté le principal objet de l’assimilation capitaliste. Avec cette recherche, nous considérons l’organe humain comme le site historique de négociation (sinon de résistance) à l’étendue de cette assimilation. Le but de ce projet consiste à explorer les possibilités de conception d’un organe digital à même de simuler cette tension entre la fonction organique et son assimilation cybernétique. La question qui est au cœur de cette recherche concerne précisément les capacités techniques et opérationnelles d’un tel organe.

Le projet débutera par une recherche sur les possibilités techniques permises par l’un des usages les plus innovants de la cybernétique dans le domaine médical, à savoir la « pathologie numérique » [computational pathology]. Il s’agit là d’une technologie médicale qui fait appel à l’ingénierie des données, les algorithmes, l’apprentissage automatique et l’informatique biomédicale pour produire des diagnostics et des prédictions. L’un des usages les plus radicaux de la pathologie numérique consiste à simuler avec précision l’état du patient afin d’en prédire le développement.

Dans cette recherche, nous étudions cette technologie par le biais historique d’une des substances essentielles du commerce colonial, à savoir l’opium. Au cours du XIXe siècle, l’inhalation de l’opium a remplacé la quasi-totalité de ses autres modes de consommation. Fumer est devenu le mode d’administration de l’opium le plus efficace, en ce qu’il induit une libération d’opiacé plus puissante, un impact plus rapide sur le système nerveux et un degré de dépendance plus élevé. Cette transformation a non seulement facilité la marchandisation de l’opium, mais aussi l’assimilation de l’organe respiratoire – autrement dit, les poumons sont devenus l’extension du réseau commercial avec les colonies et l’ « inhalation », l’un de ses rouages.

Sur le plan pratique, nous envisageons d’explorer les possibilités techniques offertes par la pathologie numérique, afin de simuler l’inhalation de l’opium par le système respiratoire humain. Ce à quoi devrait conduire cette simulation, c’est au processus pathologique en temps réel, passant d’une diffusion de plus en plus intense de l’opium dans les poumons à une déformation progressive des voies respiratoires et enfin à un bruit de respiration anormal.

Nous considérons ces sons, résultat d’une conjonction de calcul informatique et de drogue, comme le noyau du projet de recherche. Dans le domaine de la pathologie, les bruits respiratoires sont vus comme les symptômes d’un état pathologique ou des signes menant à un diagnostic. Dans notre recherche, cette logique est renversée. L’état pathologique est au contraire simulé pour produire le symptôme. Ainsi les bruits n’ont aucune valeur de diagnostic (ils ne sont pas des signes menant à un sens) ; ils constituent plutôt, en eux-mêmes, un résultat final. Nous considérons l’évolution des sons comme un moyen d’ouvrir les possibilités pour une étude des organes qui dépasse l’opposition homme/machine, mais aussi qui permette de résister à une entière assimilation.